Proteger son Troupeau

Une fois que l'on parvient - non sans mal - a diriger un troupeau a travers ses paturages, monte sur un cheval et tentant de faire corps avec le troupeau tout comme avec sa monture, on n'est pour autant pas a l'abri d'agressions multiples, le plus souvent involontaires, a destination du troupeau. Un groupe de "VTTistes" qui debarque au detour d'un chemin, quand ce ne sont des motos tout-terrain ou encore des 4x4 ... Et c'est le troupeau qui se bouscule, s'eparpille ... Voire des betes qui se font percuter ... Auquel cas, toutefois, a la condition de rester constamment aux aguets, celle, egalement, de pouvoir reagir promptement, il suffit, d'un rapide galop, de se porter au-devant des intrus. En general, un cheval en travers d'une piste forestiere est assez volumineux pour stopper le conducteur de n'importe quel vehicule. En revanche, des qu'il s'agit d'un chien - si petit soit-il - le simple fait qu'il se rapproche en couinant declanche une reelle panique parmi les betes. Les petits ruminants se sont en effet adaptes a la predation par la fuite et si lointains parents du loup soient nos actuels chiens domestiques, leur atavisme est bien la, stocke au plus profond de leurs genes ! Ainsi, chevres et brebis n'y voient que du feu, qui se mettent a courir, lorsque le predateur s'approche !Et la, le berger a cheval ou a pied ne peut pas grand'chose, voire rien du tout, sauf a etre arme et a viser juste ... Or, les chiens divaguant, ceux qui sont libres pendant la chasse ou pendant que leur maitre se promene ... Sont suffisamment nombreux sur une seule annee pour que le troupeau soit serieusement mis a mal. En effet, toutes les betes attaquees ne sont pas systematiquement mordues, voire tuees. Mais une mere gestante va prochainement avorter et celle qui allaite va se dechirer les pis en fuyant a travers les fourres ... Enfin, il y a les loups du cote des Alpes et les ours dans les Pyrenees. Pour celles et ceux qui douteraient des degats que ces predateurs commettent, je vais vous raconter cette "histoire" qui m'a ete rapportee par Henri Coton, berger sur la montagne de Lure, mais cote Jabron. La premiere annee que les loups sont apparus dans cette partie pour le moins meridionale des Alpes, il se disait qu'on "les" avait entr'apercu ... Mais rien de bien concret, avec ce que les gens racontent ... Un beau matin, notre Henri monte rejoindre son troupeau, libre comme tous les etes, la-haut, sur son alpage. Lui possede plus de mille brebis, alors j'aime autant vous dire que son alpage est vaste ! Il est a la montee, juche sur son cheval et tout a coup il voit au loin son troupeau courir comme sous la contrainte d'un chien de berger. Lequel chien de berger realise de grands arcs de cercle, afin de diriger les betes ... Du cote des rochers, juste au bas de l'alpage !! Stupefait de voir le travail de ce "chien", il pousse son cheval au galop pour intercepter les betes, juste avant qu'elles arrivent au ras du precipice ... Or, deboulant par hasard juste au-dessus du "chien" il voit nettement un loup male, poitrail et ventre blanc, ainsi qu'oreilles courtes ... Sitot arrive dans son champ de vision, le fauve cesse sans plus attendre sa chasse et Henri ne se lasse alors pas de me decrire le loup dans sa retraite : "- tu prends un cordeau et, la ou il monte, tu tires droit !" Le loup, en effet, conscient de sa puissance, fuit en general - sinon toujours - a la montee. Aucun obstacle ne le fait alors devier sa trajectoire d'un pouce ! "- Vraiment impressionnant : aucun chien ne peut le rattrapper alors ..." Mais lui n'était vraiment pas fâché ce jour-la d'être arrivé in extremis pour ... Eviter le pire ! Car toutes ses bêtes, pressées par le loup dans sa course, se seraient amoncellees sur les premières arrivées juste au ras des rochers ; ainsi, ce ne sont pas les bêtes d'elles-mêmes, qui "sautent" délibérément mais bien celles du haut qui poussent les malheureuses du côté de l'à pic. Je profite de cette occasion pour dénoncer cette totale idiotie qu'a inventée en son temps un certain François. François Rabelais, s'entend. L'histoire du mouton de Panurge jeté a la mer, pour que tous les autres s'y lancent à sa suite est plus qu'une niaiserie : essayez simplement de faire monter un troupeau de brebis dans un semi-remorque bétaillère et vous comprendrez qu'il ne suffit pas de balancer une bête la-dedans pour que 600 autres se mettent alors a la suivre ! C'est, ici, même tout un art ... Et pour revenir a notre Henri, lui s'est depuis cette histoire équipe de chiens dit d'Anatolie, qui viennent en réalité d'Asie centrale et qui ont par ailleurs été (durement) sélectionnés, depuis des temps immémoriaux, pour venir a bout des loups les plus féroces. Personnellement, du fait de la proximité avérée des loups dans les gorges du Verdon voisines, j'ai choisi la race turque des Kangal pour défendre potentiellement mes bêtes. En France, cette race autochtone de l'Anatolie et celle des "bergers d'Anatolie" ne font qu'une. C'est, me semble-t-il, dommage, car je suis persuadé que le (vrai) Kangal, dont je suis devenu éleveur par passion comme nécessité est plus puissant, voire plus dangereux que le Karabash, qui est le nom turco-mongol donné à ces "Bergers d'Anatolie" au nez noir ... A l'opposé des "Akhbash" = nez blanc, une autre variante des bergers dits d'Anatolie. Or ces chiens sont plus fins et longilignes que les purs Kangal, dont le museau est, lui, plus court ; plus épais également. Les Karabash que l'on dénomme donc malgré tout Kangal en France possèdent, comme tous les chiens de protection (preuve de leur agressivité), une queue fortement enroulée, portée haute au-dessus de la croupe. Mais une différence notoire avec le Kanga se retrouve au niveau des aplombs des pattes avant : chez ce dernier, ainsi que chez les loups, lorsque l'animal se tient debout immobile, les deux pattes se touchent quasiment depuis le coude jusqu'au poignet, alors que chez le Karabash, elles sont aussi écartées que les pattes arrières, comme la majorité de nos chiens domestiques. Je pense ainsi, concernant le Kangal, que cette race est tellement ancienne qu'elle est restée très proche du (des) loup(s) originel(s) ; loup dont il a conservé du pelage blanc au niveau du poitrail ... Outre cela, le fait de posséder des aplombs si resserrés au niveau antérieur améliore la sustentation et réduit considérablement la fatigue liée au sur-poids de "l'avant-main", qui est un problème récurrent chez les quadrupèdes. Je constate que la majorité des races sauvages est beaucoup plus étroite au niveau de leur poitrail que les souches sélectionnées par les humains, notamment pour ce qui est des chiens ou des chevaux. Les cerfs, les chevreuils, les loups ... Possèdent tous des membres très fins, portés plus serrés à l'avant qu'à l'arrière, détails que j'aime à rechercher chez l'âne ou encore le Kangal. De ce fait, ces annimaux me paraissent encore très proches de leurs parents sauvages et c'est un gage, selon moi, de leur adaptation aux dures lois de la sélection naturelle. Or, pour revenir à la protection d'un troupeau, le fait de posséder des Kangal, si féroces soient-ils, ne résoud pas tous les problèmes, loin s'en faut. Les loups, notamment, sont capables d'adopter des stratégies d'attaque plus que judicieuses. Ainsi, lorsqu'ils ont compris que tel ou tel troupeau est bien protégé, ils ne vont revenir que lorsque l'une de leurs femelles sera en chaleurs. Cette dernière sera alors envoyée sur le troupeau, histoire d'attirer les Kangal, l'un après l'autre, dans un piège sans retour. En effet, séduit par les phéromones de la femelle, malheur au chien mâle qui se risquera à céder à ses avances, parce que la garce l'entraînera vers sa meute à elle, qui réglera le sort de l'imprudent en quelques coups de mâchoire ... Car si un loup surpris par un Kangal (au moment où le fauve dévore une brebis) est un loup mort : en effet, le Kangal n'attaque jamais à la gorge de son adversaire, mais toujours au niveau de ses flancs ou du milieu du dos, ce qui lui ôte ainsi toute puissance, en revanche, si trois loups tombent sur un Kangal, ce dernier, même protégé par un collier à pointes, est vite dépecé. Selon ce que m'a confié un berger turc, mieux vaut être attaqué par un ours que par une meute de loups. Un ours, pourtant, en Turquie, est malgré tout de la taille d'un grizzly ...
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