(33) - "Cabro !"

"Cabro !" C'est ainsi que Christian faisait (prononcez "cabro" avec l'accent tonique sur le "a", le "o" final étant quasiment "muet" et "ouvert", exemple : le o de "comme"), en assénant un bon coup de bâton sur "lis esquino" (les échines) de chacune des chèvres, dès lors que celles-ci se risquaient à franchir le portail de la bergerie ... C'était à l'automne 1984, je m'étais loué comme pâtre dans le grand Leberon (Lubéron : prononcez "Lèbéroun") et les deux labris, qui, certes, faisaient merveille avec les 600 brebis, s'avéraient bien incapables de me sortir les chèvres des champs cultivés, où elles - une dizaine tout au plus - affectionnaient de se précipiter, dès que le troupeau devait les longer pour regagner les "campas" incultes ... "Maintenant, chaque fois qu'une cabro entre ou sort de la bergerie, tu lui balances un coup de trique et tu lui cries : " - Cabro !" - Ah bon ? Je restais incrédule ... Christian de poursuivre : " - Hé bè oui ! Chaque fois que les chèvres rentreront dans les "semés", il te suffira de crier " - Cabro !" ; tu verras, comme elles rappliquent au grand galop !" C'est vrai qu'envoyer les chiens ne sert à rien, parce que les cabro, elles baissent la tête, elles font face, toutes cornes en avant et les deux chiennes s'épuisent à leur aboyer dessus ... Peine perdue ... Et c'est sans dire que si le paysan du coin nous aperçoit, ou s'il se rend compte que les chèvres sont rentrées dans les semés ... On se prend une bonne engueulade ! Dès lors, j'applique à la lettre le remède de Christian et c'est alors un plaisir de voir comment les chèvres rappliquent du beau milieu d'un potager, au seul hurlement de ces quelques lettres " - Cabro !" à leur intention ... Et si j'ai choisi d'écrire cette petite anecdote juste après avoir pris position contre la torture légalisée des bêtes, sous la dénommination pudique de "vivisection", c'est bien parce que l'on me reproche de temps à autre d'être dur avec mes animaux, en l'ocurrence, mes chèvres. Eh bien, ici je dois rappeler que la chèvre, contrairement aux ovins, n'est pas un animal dont la survie dépend de son instinct de fuite, tout au contraire ! Car si la chèvre est si "curieuse", c'est bien parce qu'elle a été façonnée par les parois rocheuses où elle a vécu, peut-être des millions d'années durant : or, en sécurité du haut d'une falaise, une chèvre a tout le loisir d'observer son prédateur potentiel. Tout à l'opposé, le mouflon fuit dès qu'il parvient à déceler un intrus. Ainsi, la distance de fuite des ovins (sauvages) est de mille mètres, quand celle du bouquetin est de 150 mètres seulement. La chèvre domestique a donc conservé dans son atavisme cette propension à "faire face" au danger, de telle sorte que l'utilisation des chiens est très problématique, avec des chèvres. En effet, soit le chien est trop doux et il devient très vite inopérant sur un troupeau, soit il est hargneux : il les attaque, se prend des mauvais coups de corne et les mord. Alors il les blesse, mais une chèvre blessée peut très vite devenir une chèvre morte ! Dès qu'une bête boîte, ou est fragilisée dans un troupeau de bêtes à cornes, elle est rapidement bousculée par les autres ... Les bêtes entre elles ne se font pas de cadeau, je veux parler des animaux qui possèdent des cornes, ce que nombre d'éleveurs ont "résolu", en écornant leurs chèvres, voire en sélectionnant des souches "mottes" = sans cornes ... Ils en ont fait des moutons ... L'emploi d'un chien est donc assez problématique : sur une trentaine de bergers de Beauce que j'ai eus depuis que j'ai mon troupeau ... Un seul s'est avéré capable de "mordre à la commande", ce qui revient à dire de châtier la chèvre juste comme il le fallait, où il le fallait ... Et, terroriser les bébés comme les Australiens le font avec leurs veaux, le problème, c'est qu'un chevreau n'a pas la même corpulence qu'un veau, à âge égal ... Et puis, je me vois mal garder un troupeau qui détalerait dès qu'un chien inconnu s'en approcherait, ce qui est fréquemment le cas, dans nos campagnes françaises ... Alors, que faire, me direz-vous ? Eh bien, moi j'applique la bonne et vieille méthode des coups de bâton et ce, au risque de me faire verbaliser prochainement par un M. Dubeauf zélé, pour ce que ce dernier, qui autorise pour sa part la torture des animaux au (saint) nom de la Science, ne supporte pour autant pas l'idée que je puisse hurler si méchamment en direction de mes chèvres, le bâton levé, en leur criant " - Cabro !", maudit berger que je suis ... J'ajoute ici que si la chèvre craint plus le bâton qui lui arrive par-dessus les oreilles qu'un chien, c'est bien parce que son atavisme d'animal qui vivait dans les rochers lui fait craindre, plus que ce qui s'approche par la terre, ce qui lui arrive par les airs : en l'ocurrence, l'aigle ...
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :